Cette " vida "
est la seule mention claire et plausible qui nous soit parvenue
sur le personnage mystérieux de la comtesse Béatrice
de Die, bien que la vida en question ait été écrite,
comme pour la plupart des troubadours, au siècle suivant
leur vie réelle. Les autres sources sont encore plus tardives
et ont plus de risques de s'éloigner des réalités,
en l'absence de documents irréfutables. Malgré
les nombreuses recherches des musicologues, le personnage reste
enrobé de mystère, et l'essai d'identification
de Janine Monier, cité en référence, se
raccroche finalement à la vida, source la plus proche
de l'époque évoquée. Pour
augmenter notre frustation, seulement quelques poèmes
de Béatrice de Die nous sont parvenus, dont un seul avec
sa musique: "
A chantar m'er de so q'ieu no volria, tant me rancur de lui cui
sui amia..."
Il me faut chanter
ici ce que je ne voudrais point chanter Car j'ai
fort à me plaindre de celui dont je suis l'amie Je
l'aime plus que tout au monde Mais rien ne trouve
grâce auprès de lui Ni Merci, ni
Courtoisie, ni ma beauté, ni mon esprit, Je
suis trompée et trahie comme je devrais l'être Si je n'avais pas le moindre charme.
Une chose me console:
jamais, je n'eus de torts Envers vous, ami. Je
vous aime, au contraire Plus que Seguin n'aima
Valence Et il me plait fort de vous vaincre en
amour, Ami, car vous êtes le plus vaillant
de tous. Mais vous me traitez avec orgueil en
paroles et en actes, Alors que vous êtes
si aimable envers d'autres.
Je suis surprise de l'arrogance
de votre coeur, Ami, et j'ai bien sujet d'en être
triste Il n'est point juste qu'un autre amour
vous éloigne de moi Quel que soit l'accueil
qu'il vous réserve, Qu'il vous souvienne
du début De notre amour. A Dieu ne plaise Que par ma faute il s'achève.
La grande vaillance qui
loge en votre coeur Et votre grand mérite
me sont sujets de tourments, Car je ne connais
point dame , proche ou lointaine, Et en désir
d'amour qui vers vous ne soit attirée Mais
vous, ami de si bon jugement, Vous devez bien
reconnaître la plus sincère Ne vous
souvient-il pas de nos jeux-partis?
Ma valeur et mon lignage,
ma beauté Et plus encore la sincerité
de mon coeur, doivent me secourir C'est pourquoi
je vous envoie, là-bas, Cette chanson
qui me servira de messager Je veux savoir, mon
bel et doux ami, Pourquoi vous m'êtes si
dur et si farouche, Est-ce orgueil ou indifférence?
Mais je veux, messager,
que tu lui dises Que trop d'orgueil peut nuire
à maintes gens. |
Le miracle est que cette
seule chanson, belle et poignante, suffise pour maintenir la
célèbrité du personnage et l'admiration
des amoureux du répertoire troubadouresque...La redécouverte
de cette oeuvre n'est pas aussi récente qu'on le pense
parfois, puisqu'au XIXeme siècle, les félibres
de la Drôme rendaient hommage à la trobairitz. Ainsi,
le 10 août 1888, une statue fut inaugurée en son
honneur dans la ville de Die, avec discours de Maurice Faure,
député de la Drôme. Cette statue, oeuvre
d'imagination de Mme Clovis Hugues, est toujours visible sur
une jolie petite place de la ville, où l'accompagnent
le chant des oiseaux et le murmure d'une fontaine. Lors de l'inauguration,
des félibres lui dédièrent des odes enflammées
dont voici un court extrait:
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